Les secrets de famille occupent une place singulière dans le champ de la psychogénéalogie. En effet, ces zones d’ombre, souvent tues ou dissimulées, peuvent peser lourdement sur les générations suivantes.
Pourquoi ces secrets existent-ils ? Comment influencent-ils les descendants ? Et surtout, comment s’en libérer ?
Grâce à la psychogénéalogie, il devient possible d’explorer ces héritages invisibles et d’amorcer un véritable processus de libération.

Qu’est-ce qu’un secret de famille ?
Évènements cachés et non-dits
Les secrets de famille émergent souvent dans un climat de honte, de peur, ou de volonté de protection.
Dans d’autres cas, ils servent à préserver une forme d’harmonie familiale, en évitant d’affronter certaines vérités douloureuses.
Un secret de famille désigne un événement ou une information familiale que l’on choisit de taire, de dissimuler ou de réprimer. On en distingue généralement deux formes :
- Le secret intentionnel, dissimulé par honte ou culpabilité. Cela peut concerner, par exemple, une filiation cachée ou une spoliation.
- Le non-dit, quant à lui, n’est pas perçu comme un secret. Pourtant, sa charge émotionnelle est si intense que personne n’ose l’aborder. C’est le cas, par exemple, lors de la perte d’un enfant en bas âge.
Dans les deux situations, l’information reste inaudible dans le système familial. Pourtant, son influence perdure.
En effet, un secret de famille peut structurer toute l’organisation familiale. Il agit comme un noyau invisible autour duquel les membres s’articulent. Les comportements, les attitudes ou même les silences peuvent s’ajuster inconsciemment pour préserver ce secret.
Ainsi, ces secrets se transmettent de manière invisible, souvent à travers :
- des silences répétés,
- des réactions émotionnelles inadaptées,
- ou encore l’évitement de certains sujets lors des repas familiaux.
Enfin, ces mécanismes sont souvent renforcés par ce que l’on appelle les loyautés familiales.
Ces loyautés poussent certains descendants à rester fidèles aux règles, aux souffrances ou aux non-dits du clan, parfois sans le savoir
Serge Tisseron et le secret de famille
Le psychologue Serge Tisseron1, spécialiste des secrets de famille, affirme que ces derniers deviennent problématiques lorsqu’ils prennent le contrôle de nos vies.
Au lieu de le garder à distance, c’est le secret lui-même qui agit sur nous, de manière silencieuse mais puissante.
Dans ce cas, le secret agit à notre insu : il nous affecte émotionnellement, influence nos comportements et alimente une fidélité transgénérationnelle.
Autrement dit, le poids de ce non-dit se transmet de génération en génération, sans qu’aucun mot ne soit prononcé.
D’après Serge Tisseron, un secret de famille réunit trois conditions bien précises :
- L’événement est volontairement caché.
- Il est interdit d’en parler ou de chercher à en savoir plus.
- Il s’agit d’un événement douloureux pour la personne concernée.
Ces trois éléments réunis rendent le secret particulièrement toxique, car il empêche la reconnaissance, le partage et la mise en sens de l’événement vécu.
Par conséquent, ce qui n’a pas pu être dit se répète – souvent sous une autre forme – chez les descendants.
Le fonctionnement et les impacts du secret de famille

De l’indicible à l’impensable
Serge Tisseron a décrit avec précision le fonctionnement des secrets de famille à travers les générations. Il identifie une dynamique transgénérationnelle en trois temps :2
Première génération : le secret est indicible
- L’événement traumatique est si bouleversant qu’il paralyse la parole. La personne touchée est figée dans le silence, incapable de mettre des mots sur ce qu’elle a vécu.
Le traumatisme reste alors fragmenté dans son psychisme et se manifeste indirectement : gestes symboliques, silences prolongés, réactions émotionnelles disproportionnées.
À ce stade, le secret de famille est tu, mais il agit déjà.
Deuxième génération : le secret devient innommable
- Les enfants de la première génération ressentent une tension diffuse, sans comprendre son origine.
Ils perçoivent la souffrance de leurs parents, mais celle-ci n’est jamais verbalisée.
Cela crée chez eux un fossé intérieur, une sorte de confusion psychique.
Comme ils n’ont pas accès à une explication claire, ils développent parfois des troubles émotionnels ou comportementaux.
Le secret est désormais innommable, car aucune parole ne le relie à un fait réel.
Troisième génération : le secret devient impensable
- Cette dernière génération ressent un malaise, un vide ou des symptômes, sans pouvoir en identifier la cause.
Elle porte en elle l’écho d’un traumatisme qu’elle ne peut ni nommer ni comprendre.
Des angoisses, des maladies ou des comportements énigmatiques apparaissent, comme si le corps ou l’esprit cherchaient à exprimer ce qui a été tu.
Ainsi, le secret de famille devient impensable : il ne peut même plus être imaginé.
Une transmission qui dépasse les liens directs
Il est important de comprendre que les secrets de famille ne touchent pas uniquement les descendants directs. Leur transmission ne suit pas toujours une trajectoire linéaire, de parent à enfant. En réalité, elle peut emprunter des chemins plus inattendus au sein du système familial.
Selon Serge Tisseron, la transmission psychique d’un secret peut s’opérer horizontalement ou en diagonale, touchant des membres éloignés sur le plan généalogique, mais proches symboliquement ou émotionnellement.
Ainsi :
- un neveu peut porter un traumatisme lié à son oncle,
- une petite-cousine peut développer un symptôme en résonance avec un événement vécu par sa grand-tante,
- un enfant unique peut incarner un conflit ancien entre ses grands-parents et un membre défunt de la fratrie.
C’est ce que Tisseron nomme l’extension du champ de transmission psychique. Le psychisme familial fonctionne comme un système : les rôles, les places, les loyautés inconscientes y circulent constamment.
Dès lors, un secret familial peut être capté par une personne qui n’a, en apparence, aucun lien direct avec l’événement initial. Ce phénomène se manifeste souvent chez les individus occupant une place symbolique ou affective particulière dans la famille : par exemple, celui ou celle qui est le plus sensible, celui qui cherche à réparer, ou encore celui qui incarne la mémoire familiale.
Autrement dit, le secret ne reste pas figé : il circule comme une charge émotionnelle flottante, en quête d’un « porteur » prêt à l’accueillir — ou à le révéler, parfois à son insu. ».
« Ce qui est tu à la première génération, la deuxième le porte dans son corps ».
L’impact des secrets de famille
Quels effets les secrets de famille peuvent-ils avoir sur les générations suivantes ? Bien sûr, cela dépend de plusieurs facteurs. La nature du secret, l’histoire personnelle de chaque individu, ainsi que son tempérament, influencent grandement la manière dont ces effets se manifestent.
En psychogénéalogie, on constate souvent qu’un secret en dissimule un autre. Parfois, un faux secret ou un mensonge sert de paravent.
Prenons un exemple concret : un avortement peut être caché, non seulement parce qu’il est perçu comme honteux, mais aussi parce qu’il fait suite à une liaison secrète. Ce qui semble être le secret n’est alors que la surface d’une réalité plus profonde et plus complexe.
Serge Tisseron identifie plusieurs effets typiques chez les enfants dont les parents détiennent un secret :
- Tout d’abord, un sentiment de culpabilité peut émerger. L’enfant ressent une gêne ou une souffrance chez son parent et, ne la comprenant pas, il s’en attribue la responsabilité.
- Ensuite, l’enfant imagine parfois un scénario bien plus dramatique que la réalité. Le silence laisse place à l’interprétation, souvent catastrophique.
- Par ailleurs, lorsqu’un adulte évite ou nie la vérité, l’enfant perd confiance. Il doute de la parole de l’adulte, ce qui peut provoquer une confusion émotionnelle durable.
- Enfin, Tisseron évoque le phénomène d’inhibition du savoir. L’enfant finit par intégrer l’idée qu’il ne doit pas — ou ne peut pas — comprendre certaines choses. Cette croyance peut freiner son développement intellectuel et affecter ses capacités d’apprentissage, notamment à l’école.
Ainsi, les effets d’un secret familial ne se limitent pas à une génération. Ils s’enracinent, se transmettent et façonnent les émotions, les pensées et les comportements, parfois à l’insu de ceux qui en portent la charge.
Comment les secrets de famille se manifestent-ils dans la vie des descendants ?
La création d’un fantôme psychique
Les secrets de famille laissent rarement les générations suivantes indemnes. Même tus, ils peuvent créer un “fantôme psychique” : une présence invisible mais agissante dans l’inconscient familial.
Ce fantôme agit en silence. Il se manifeste par des symptômes émotionnels, comportementaux ou relationnels, souvent sans que les personnes concernées en comprennent l’origine. Ces effets apparaissent parfois à des moments clés : la mort du détenteur du secret, une rupture, une naissance, ou un événement marquant de l’enfance.
À l’âge adulte, l’effort de symbolisation — c’est-à-dire la tentative de donner du sens ou de verbaliser le secret — peut réveiller des mécanismes puissants de répétition inconsciente. La personne rejoue alors un scénario ancien, sans en connaître les causes profondes.
Voici les formes les plus courantes que prennent ces effets :
Syndrome du secret
Certaines personnes développent une angoisse diffuse, liée à une responsabilité inconsciente : celle de protéger un non-dit ou de “remplacer” un membre oublié. Ce fardeau psychique peut entraîner un mal-être profond, parfois accompagné de conflits intérieurs ou de troubles anxieux.
Comportements répétitifs
Certains schémas se rejouent d’une génération à l’autre : échecs professionnels, relations toxiques, ruptures brutales, instabilité affective ou financière.
Symptômes psychosomatiques
Des douleurs chroniques, maladies inexpliquées ou tensions corporelles peuvent traduire une souffrance émotionnelle non exprimée, liée à un secret de famille.
Réactions disproportionnées
Des sentiments intenses comme une culpabilité irrationnelle, une colère inexpliquée ou une honte soudaine peuvent émerger sans lien apparent avec le présent. Ils trouvent parfois leur origine dans un traumatisme familial caché.
Problèmes d’identité
Le manque de réponses sur l’histoire familiale peut créer un flou identitaire. Le descendant se sent alors “étranger à lui-même”, tiraillé entre des loyautés invisibles et une histoire incomplète.
Les différents types de secrets de famille:
Les secrets de famille peuvent prendre des formes très variées. Leur impact dépend souvent de la manière dont ils sont transmis, tus ou réinterprétés au sein du système familial. Voici les principaux types de secrets que l’on retrouve en psychogénéalogie :
- Les secrets de filiation
Ils concernent la dissimulation de l’identité réelle d’un parent. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un enfant ignore le nom de son père, ou croit que son père est un autre homme. Ces secrets incluent également les accouchements sous X, les adoptions non dites, ou encore les abandons mal expliqués. Le flou autour des origines crée souvent un sentiment d’insécurité ou de manque d’appartenance. - Les secrets liés à la sexualité
Certains sujets restent tabous au sein des familles : homosexualité cachée, infidélités, violences sexuelles, avortements clandestins, prostitution ou abus sexuels. Ces secrets engendrent souvent une honte transmise silencieusement, qui peut affecter l’estime de soi et les rapports à l’intimité chez les descendants. - Les secrets comportementaux
Ils concernent des comportements jugés inacceptables ou dangereux, comme les addictions (alcool, drogues, jeu), la violence conjugale, le harcèlement ou les abus envers les personnes vulnérables. Ces secrets sont parfois couverts par des loyautés familiales inconscientes, ce qui complique leur mise en lumière. Les troubles psychiatriques et les peines de prison font aussi partie de cette catégorie. - Les secrets liés à la mort
Certaines familles choisissent de dissimuler les causes d’un décès, ou même l’existence d’un deuil. Cela peut concerner une mort violente, un suicide, un avortement ou un enfant mort-né. Le non-dit autour de la mort empêche souvent un travail de deuil sain, et peut provoquer des troubles émotionnels sur plusieurs générations.

Comment se défaire des secrets de famille grâce à la psychogénéalogie ?
Un secret n’est pas une fatalité
Un secret de famille n’est jamais une fatalité. Même s’il a été caché pendant plusieurs générations, il est toujours possible de s’en libérer. Le fait d’en parler, de le formuler et de partager ce que l’on ressent permet déjà d’alléger son poids. En verbalisant ce qui était jusque-là tu, on amorce un processus de réparation.
Cette démarche est essentielle pour éviter les effets destructeurs du silence, notamment sur le plan émotionnel. Lorsqu’il est trop difficile de mettre des mots en famille, l’accompagnement par un thérapeute peut s’avérer précieux. La psychogénéalogie, en particulier, aide à exprimer les émotions enfouies, à donner du sens à ce qui a été vécu et à rompre avec la culpabilité transmise.
Dans la mesure du possible, il est recommandé d’engager le dialogue avec la personne détentrice du secret, si elle est en état psychologique de le faire. Cette ouverture, même partielle, peut marquer le début d’une libération émotionnelle profonde. Le simple fait de poser une question, d’exprimer un doute ou de nommer une sensation peut faire évoluer le récit familial.
Enfin, il est essentiel de réfléchir aux conséquences du secret sur l’ensemble du système familial. Cette prise de conscience permet de reconstruire une histoire familiale plus cohérente et plus authentique. Elle ouvre également la voie à une nouvelle manière d’être au monde, plus libre et plus alignée avec soi-même.
Les techniques offertes par la psychogénéalogie
La psychogénéalogie propose des outils efficaces pour aider les individus à se libérer des poids psychologiques liés aux secrets de famille. Voici quelques étapes pour se dégager de leur influence :
Prendre conscience des secrets familiaux : La première étape consiste à explorer son arbre généalogique et à identifier les événements marquants qui ont pu être cachés ou refoulés. Cela peut se faire en discutant avec des membres de la famille, en recueillant des témoignages ou en se plongeant dans l’histoire familiale.
Réaliser une délivrance symbolique : Parfois, la guérison des secrets de famille passe par un travail symbolique, comme la réconciliation avec l’histoire familiale, la création de nouveaux rituels ou la mise en place d’un acte symbolique de pardon.
Travailler sur les émotions refoulées : Il est essentiel de faire face aux émotions liées aux secrets, que ce soit la colère, la tristesse, ou la peur. La psychogénéalogie permet d’identifier et de traiter ces émotions en profondeur.
Reconstruction de la vérité familiale : La psychogénéalogie invite à rétablir la vérité familiale et à accepter ce qui a été caché. Cela permet de dénouer les liens invisibles qui maintiennent le secret et de rétablir l’équilibre au sein de la famille.
Libération des schémas transgénérationnels : En analysant les schémas répétitifs dans la famille, la psychogénéalogie aide à défaire ces cycles destructeurs. Les individus peuvent alors se détacher des modèles négatifs qui se sont transmis de génération en génération.
« Toutes les familles ont des secrets, ils ne sont pas tous mauvais (…) les secrets appartiennent à notre vie psychique, ils ne sont pas toujours communicable, ou il existe des secrets légitime non pathogènes«
Paola Del Castillo4–
Et pour aller plus loin, n’hésitez pas à visionner ma vidéo dédiée au sujet : Cliquez ici
Les secrets de famille: une mise en lumière possible
Les secrets de famille en psychogénéalogie représentent un aspect essentiel de l’histoire familiale. Ils peuvent avoir des conséquences profondes sur la vie des descendants, tant sur le plan émotionnel que psychologique. Grâce à la psychogénéalogie, il est possible de dénouer ces secrets, de comprendre leur origine et leur impact, et surtout de s’en libérer pour créer un avenir plus serein et équilibré.
Un premier échange de 20 minutes, à distance et sans engagement, est possible si vous souhaitez en parler.
- Serge Tisseron « Les secrets de famille » ↩︎
- Serge Tisseron – Article de revue « Les ricochets du secret » ↩︎
- Source : Anne Ancelin Schützenberger » Aïe, mes aïeux ! » – Loyautés invisibles, notes 4 ↩︎
- Paola Del Castillo « Le Grand livre de la psychogénéalogie » ↩︎